par Azzedine Kaamil Aït-Ameur
L'expression lancée par Netanyahou se retourne aujourd'hui contre lui.
«Quand il glorifie Sparte, c'est Gaza qui incarne la vraie force».
700 contre 300
Les historiens se souviennent : les trois cents Spartiates n'étaient pas seuls.
Ils tenaient le défilé des Thermopyles avec l'appui de plusieurs cités grecques ; leur résistance de trois jours permit à Athènes de se préparer.
C'était un acte héroïque, certes, mais aussi une stratégie calculée, soutenue par leurs alliés.
Gaza, elle, n'avait presque personne.
Hormis la fidélité des résistances libanaise et yéménite, elle a été trahie par les monarchies arabes, abandonnée par son voisin égyptien, et ignorée par les nations qui se disent civilisées.
Et pourtant, elle a tenu non pas trois jours, mais plus de sept cents.
Sans renforts, sans aviation, sans blindés, sans ravitaillement, face à une armée suréquipée - la plus moderne du Proche-Orient - soutenue sans relâche par l'Europe et les États-Unis.
Dès le premier jour, les bombes tombaient, les convois humanitaires étaient bloqués, les églises et les mosquées bombardées, les hôpitaux rasés, les journalistes et les soignants visés ; femmes et enfants périssaient dans des camps de fortune incendiés ; même les morts n'étaient pas épargnés.
Et pourtant, la résistance ne s'est pas effondrée.
Elle a transformé le siège en symbole, l'isolement en discipline, la faim en foi.
Les 300 avaient Sparte derrière eux.
Les 700, eux, n'avaient que Gaza - et cela a suffi.
Car Sparte n'était pas celle qui possédait les armes les plus sophistiquées, ni les soutiens les plus puissants : c'était celle qui résistait, encerclée, mais debout.
Gaza, bien que profondément meurtrie après plus de sept cents jours d'assaut, reste habitée par une population qui continue de lutter pour sa survie. Elle a survécu - non pas grâce à la technologie, mais grâce à la cohésion, à la foi et à la conviction qu'il existe des causes plus fortes que la peur.
Face à elle, l'armée la plus moderne du Proche-Orient, soutenue sans relâche par l'Occident, a déversé sur Gaza l'équivalent d'Hiroshima et Nagasaki réunis : des bombes d'une tonne sur des quartiers densément peuplés, une pluie de feu sur les hôpitaux, les écoles, les camps de réfugiés. L'objectif n'était plus militaire - il était d'anéantissement. Et pourtant, la victoire leur a échappé.
Les tonnes de munitions livrées, les campagnes médiatiques, les blocus et la famine imposée n'ont pas brisé la résistance : ils l'ont définie.
La véritable «Super-Sparte» est celle qui tient malgré tout, dans la pénombre des abris, au milieu des ruines, où l'esprit de communauté devient un rempart.
Ce que Netanyahou a appelé «Sparte», c'est l'image inversée de Gaza qu'il porte dans son inconscient : un fantasme d'admiration refoulée pour le courage et la force morale que ni lui, ni son armée ne possède.
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Gaza, camp d'extermination du XXIe siècle
Quand le mensonge devient une stratégie d'État, la propagande n'est plus une simple communication : elle devient la preuve qu'on cherche à dissimuler l'indicible.
Depuis des mois, des preuves s'accumulent : pendant que Gaza subissait la faim, les bombardements et le siège, le pouvoir israélien finançait une machine mondiale de manipulation de l'opinion - publicités, influenceurs, contenus sponsorisés, campagnes coordonnées.
Un État qui dépense des millions pour nier la famine admet implicitement qu'elle existe ; on ne paie pas pour dire la vérité, on paie pour l'ensevelir.
Et lorsqu'il interdit aux journalistes d'entrer à Gaza, ce n'est pas pour protéger des secrets militaires : c'est pour empêcher le monde de voir ce qu'il a déjà décidé d'effacer.
Dès le début de l'année 2024, alors que l'ONU et les ONG alertaient sur la catastrophe humanitaire, l'agence publique Lapam déboursait plus de 50 millions de dollars pour diffuser des images de marchés «abondants» et de restaurants «ouverts».
Ces budgets incluaient la production de vidéos virales, l'achat d'espaces dans les médias occidentaux, la formation de porte-paroles et des tournées diplomatiques coordonnées.
Un système industriel de fabrication du récit - non une simple communication gouvernementale.
Mais travestir la vérité, c'est déjà la reconnaître.
Lorsqu'un pouvoir consacre autant d'énergie à nier l'évidence - la faim, la mort, la destruction - il confirme que la vérité est contre lui.
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Une stratégie d'anéantissement organisée
La violence exercée sur Gaza dépasse le cadre militaire.
Elle prend la forme d'un siège méthodique : privation d'eau, de nourriture, de soins, de tout ce qui permet de survivre.
Cette stratégie, combinant destruction rapide par les bombes et destruction lente par la faim, rappelle tragiquement les logiques historiques d'extermination : enfermer, isoler, épuiser jusqu'à la disparition.
Gaza est aujourd'hui un camp d'extermination à ciel ouvert - une enclave verrouillée, bombardée et affamée depuis deux ans, avec au bas mot 67 000 morts et plus de 168 000 blessés, hommes, femmes et enfants. Une population entière est soumise à une double mécanique :
- la mise à mort rapide, par les frappes aériennes et les bombardements ;
- la mise à mort lente, par le blocus, la faim et l'absence de soins.
Ce siège n'est pas un accident de la guerre : c'est une extermination planifiée. Chaque camion d'aide retardé, chaque convoi bloqué, chaque point d'eau détruit s'inscrit dans une logique de contrôle total.
Le monde le sait ; le monde regarde ; et le monde se tait.
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La guerre du récit
Quand le pouvoir perd la bataille du terrain, il tente de gagner celle du récit.
Le Premier ministre du crime, lui-même l'a reconnu : l'entité israélienne n'a pas seulement perdu sur le champ militaire, il a perdu le narratif.
Et dans une époque où la vérité circule plus vite que la censure, cette défaite symbolique est plus lourde qu'une débâcle.
Il a même évoqué TikTok comme l'arme principale de cette guerre d'influence, suggérant que, pour «récupérer» le narratif, il faudrait tout simplement racheter la plateforme.
Ainsi se résume notre époque : on ne cherche plus à convaincre, mais à acheter la conversation.
Ce constat achève de dévoiler la nature du pouvoir israélien contemporain : un régime qui, après avoir tenté d'écraser la résistance par la force, cherche désormais à coloniser la perception mondiale.
Mais il est trop tard. Le flux numérique, incontrôlable, a donné voix à ceux qu'on voulait réduire au silence.
Chaque vidéo d'un enfant affamé, chaque témoignage d'un médecin ou d'un journaliste palestinien est venu fissurer le récit officiel, jusqu'à le rendre indéfendable.
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Le combat du récit
Face à cette entreprise de négation, le combat n'est plus seulement militaire ou diplomatique : il est narratif.
Il s'agit de faire entendre les voix des victimes, des médecins, des journalistes, des juristes - ceux qui témoignent de ce qui ne peut plus être effacé.
L'histoire retiendra que, lorsque le pouvoir a commencé à payer pour travestir la vérité, c'est qu'il savait qu'il commettait l'inavouable.
Courage, Honneur et Dignité
L'entité israélienne ne manquera jamais d'investisseurs pour tenter de redorer une image depuis longtemps ternie ; elle pourra tout acheter, sauf ce qui lui manque : le courage, l'honneur et la dignité.
Ces vertus ne s'acquièrent ni à la bourse, ni dans les arsenaux, et pourtant ce sont elles qui décident du sens d'une guerre.
Comme l'a rappelé, dans un geste tragiquement lucide, le soldat américain Aaron Bushnell, le 25 février 2024, devant l'ambassade d'Israël à Washington D.C. :
«Je m'appelle Aaron Bushnell, je suis un membre en service actif de l'armée de l'air des États-Unis et je ne serai plus complice d'un génocide. (...) Je suis sur le point de m'engager dans un acte de protestation extrême, mais comparé à ce que les gens ont vécu en Palestine aux mains de leurs colonisateurs, ce n'est pas extrême du tout».
Et il eut le temps d'ajouter, dans un dernier cri de douleur : «Free Palestine !»
Son acte n'était pas une fuite, mais une accusation - celle d'un homme qui avait compris que la véritable puissance ne réside pas dans les bombes, mais dans la conscience.
On peut acheter des munitions, des influenceurs et des narratifs ; on ne peut pas acheter la droiture.
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La «Super-Sparte», c'est Gaza : non pas la cité des conquérants, mais celle des assiégés qui tiennent.
La force ne se mesure plus en puissance de feu, mais en enracinement : c'est la légitimité d'un peuple prêt à tout perdre, sauf sa terre.
Car le vrai droit d'habiter un pays appartient à ceux qui restent quand tout s'effondre - pas à ceux qui plient bagage avant même d'être chassés.
Notes
Convention de Genève IV relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, art. 33, 1949
ihl-databases.icrc.org
Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, art. 54, 1977
ihl-databases.icrc.org
CIJ - Ordonnance sur les mesures conservatoires dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël (Convention sur le génocide), 26 janvier 2024
icj-cij.org
CPI - Déclaration du Procureur Karim A.A. Khan KC sur la demande de mandats d'arrêt, 20 mai 2024
icc-cpi.int
Amnesty International - Israel/OPT : Evidence of war crimes as Israeli attacks wipe out entire families in Gaza, 2024
amnesty.org
Human Rights Watch - Israel : Starvation Used as Weapon of War in Gaza, 18 mars 2024
hrw.org
Médecins Sans Frontières - Gaza : Hospitals and Medical Staff Targeted Amid Relentless Bombardment, 2024
msf.org
UNICEF - Gaza : Over 90% of children under 5 face food insecurity, acute malnutrition surging, avril 2024
unicef.org
OCHA - Gaza Situation Reports - Daily Updates, 2024
ochaopt.org
UNRWA - Statement on the Continued Targeting of UN Facilities and Staff in Gaza, 2024
unrwa.org
Convention sur certaines armes classiques (CCAC), Protocole III sur les armes incendiaires, 1980
ihl-databases.icrc.org
Aaron Bushnell :
theguardian.com